« EN ZONE DE DÉPRISE, NOUS VOULONS CROIRE EN L'AVENIR DU LAIT »
ALORS QUE DE NOMBREUX PRODUCTEURS ISÉROIS ARRÊTENT LE LAIT, FRANÇOISE ET ROLAND SE PROJETTENT, AVEC LEURS FILS, DANS LA PRODUCTION QUI LES MOTIVE : LE LAIT.
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LA MISE EN ROUTE DU ROTO MI-AVRIL ET L'ACHÈVEMENT des travaux d'extension de la stabulation à logettes marquent un tournant historique pour l'exploitation de Françoise et Roland Levet-Trafit, à La Frette, dans la plaine de Bièvre (Isère). Longtemps freinée par une référence insuffisante (170 000 l jusqu'en 1993) et une surface limitée à 50 ha environ, la famille Levet-Trafit avait dû diversifier ses activités : transformation fromagère et vente directe de noix, de pommes de terre et de veaux gras. À la suite d'investissements importants réalisés ces trois dernières années dans le cadre de la mise aux normes et de l'installation des deux fils, l'exploitation disposera prochainement d'un outil capable de produire 700 000 l avec 80 vaches. Un choix osé dans une zone de déprise laitière, mais une petite revanche sur des années difficiles. « Du lait on en a jeté, des pénalités on en a payées », se souvient Roland Levet-Trafit, en EARL avec sa femme et son fils Julien, qui les a rejoints en mai 2009.
Installé en 1983, l'année précédente la mise en place des quotas, Roland a été bloqué dès le départ. « Avec 170 000 l, nous étions au plafond départemental : 150 000 l par UTH avec une demi-part supplémentaire pour l'épouse conjointe associée collaboratrice, et une vente directe comptée double (30 000 l équivalent à 60 000 l). »
« LE MAGASIN DRAINE DES DÉBOUCHÉS SUPPLÉMENTAIRES »
« Nous avons mis vingt ans pour remplir les quarante-cinq places du bâtiment construit en 1983. La transformation fromagère, commencée par les grands-parents, et la vente directe nousont alors bien rendu service. Dès 1988, un point de vente collectif avait été créé avec sept autres agriculteurs. Le long de l'ancienne nationale 85 Lyon-Grenoble, nous étions bien situés. Trois ans après ses débuts dans l'une de nos anciennes granges, le magasin collectif a migré dans un local construit avec l'aide de la communauté de communes, à 150 m de l'exploitation. Complémentaire de la vente à la ferme que nous avons conservée, le magasin draine une clientèle différente et offre des débouchés supplémentaires. »
Mais il représente aussi des permanences supplémentaires à assurer. C'est Françoise qui assure celles du jeudi matin, d'un mercredi sur trois et d'un week-end sur sept.
En 1998, un atelier de veaux gras commercialisés en direct a débuté. Il permet aujourd'hui de valoriser 50 000 à 60 000 l par an dont le lait à cellules.
Pour limiter la charge de travail déjà très élevée à l'époque, un Dal avait été acheté. Il y a huit ans, 24 000 € ont été investis dans l'aménagement d'une salle de découpe à la ferme et dans l'acquisition d'une remorque frigorifique. Les veaux abattus lundi à Grenoble (une heure et demie de transport aller-retour) sont récupérés le mercredi et découpés dans la journée. Le jeudi, la viande est mise en rayon au magasin.
Les colis sont mis en vente le vendredi à la ferme. Le dimanche midi, tout est vendu. En 2005, l'obligation de mise aux normes de l'exploitation a bousculé les éleveurs. L'exploitation, qui dispose alors d'un quota laiterie de 200 000 l et d'un quota vente directe de 49 000 l, doit construire une fosse à lisier, aménager une fumière et refaire les silos.
« LES INSTALLATIONS INDIVIDUELLES EN LAIT SONT INSUPPORTABLES »
« Nous avons commencé à réfléchir à l'arrivée de nos fils, Julien et Vincent, explique Roland. Dès le départ, nous avons toujours raisonné dans l'hypothèse de deux installations. En tant que responsable professionnel, je me suis toujours battu contre les installations individuelles en lait, humainement et socialement insupportables. »
Baignés dans le travail de la ferme depuis leur plus jeune âge, les deux fils souhaitaient revenir à la ferme. Mais comment dégager deux revenus supplémentaires ? « Se projeter dans l'avenir n'a pas été facile, reconnaît aujourd'hui la famille Levet-Trafit. En surface, nous étions bloqués à 59 ha de SAU, notre siège d'exploitation était encastré dans le village, et en matière de quota, nous ne savions pas exactement où nous allions. Dans le département toutefois, nous sentions que les choses bougeaient. Avec l'arrêt de nombreux producteurs laitiers et un assouplissement des règles d'attribution des quotas en CDOA, des perspectives de récupérer du lait se dessinaient. »
Les évolutions récentes ont donné raison aux éleveurs. En deux années, ces derniers ont pu acheter, hors PAD, 45 000 l de quota sans terre, soit le maximum des possibilités qui leur étaient offertes. En 2008 et 2009, 100 000 l ont été attribués à l'exploitation dans le cadre de l'installation de Julien, réalisée en mai 2009, et 50 000 l pour celle de Vincent alors prévue pour 2010.
L'installation de Julien a été rendue possible par la location de 47 ha, dont 30 ha environ cultivables et le reste en prés. Une opportunité intéressante alors que la pression foncière demeure forte en plaine. « Les parcelles attenantes aux nôtres appartenaient à un cousin avec lequel nous travaillions avant qu'il n'arrête le lait. La reprise de ces terrains n'a pas alourdi la charge de travail. Nous étions déjà équipés pour 100 ha. »
Par malchance, les éleveurs n'ont pas pu transformer en quota les quarante droits à primes vaches allaitantes disponibles sur l'exploitation. « Fin décembre 2008, quand nous avons fait la demande de transfert, la réglementation avait changé, déplore Roland. Pour récupérer l'équivalent de 200 000 l de référence, il aurait fallu garder le troupeau de limousines au moins trois ans. Six mois plus tôt, le transfert direct était encore possible.
C'est rageant. Avec 700 000 l de quota, nous pouvions installer Vincent dans la foulée. » Du coup, son installation est retardée. Pas question en effet de diversifier davantage.
20 000 À 30 000 L DE QUOTAS ATTENDUS CETTE ANNÉE
Pour boucler l'installation de Julien, les éleveurs espèrent recevoir encore cette année 20 000 à 30 000 l de référence supplémentaire. Et ce, malgré les incertitudes créées par le programme régional de gel des cessations laitières lié au démantèlement de l'URCVL.
Pour limiter les volumes de lait à absorber par les entreprises rhône-alpines dans le cadre de la dissolution de l'union régionale des coopératives de vente de lait, 27 millions de litres de lait libérés par les Acal et financés par l'État ont été gelés pendant deux ans. Ils feront défaut pour les installations des JA. Dans le cadre de l'augmentation de 2 % du quota national et de la désaffection laitière qui s'accentue dans une partie du département, peut-être y aura-t-il des opportunités de récupérer du quota prochainement. Roland Levet-Trafit y croit. « Quand nous nous sommes lancés en 2005, nous osions à peine annoncer notre projet : 700 000 l pour 4 UTH, cela paraissait gros en Isère, mais ramenée à la personne, cela ne fait que 180 000 l, soit l'équivalent du Pad actuel. » Et de s'interroger sur les capacités de son nouveau bâtiment. « Avec 80 vaches à 9 000 kg, la stabulation agrandie sera rapidement saturée. Nous aurions dû prévoir plus grand. Nous avons peut-être manqué d'ambition. » L'extension déjà n'avait pas été simple. Pour la réaliser, il avait d'abord fallu échanger 200 m2 de terrain avec un voisin.
Avant d'agrandir le bâtiment existant, les éleveurs s'étaient aussi longuement interrogés. Un projet de construction d'un nouveau site à 600 m dans la plaine a été évoqué. Mais outre son coût, il compliquait le travail. « Il aurait fallu ramener le lait à l'ancienne ferme », précise Françoise. Installer la fromagerie dans le nouveau bâtiment était difficilement envisageable. Françoise n'aurait plus été sur place pour accueillir les clients qui sont servis à toute heure, dimanche matin compris. Une organisation contraignante mais que les éleveurs ne souhaitent pas remettre en cause compte tenu du poids de la vente directe dans leur chiffre d'affaires (38 % en 2008-2009). La famille a donc décidé de prendre le risque de rester sur place.
« Cela fait quinze ans que nous sommes au milieu des villas et à quelques centaines de mètres des HLM, sans que cela pose un problème. » Avec un maire sensible à l'agriculture, le devenir des parcelles attenantes aux bâtiments (70 ares en propriété et 2 ha en location à 50 m) semble assuré à moyen terme. 250 000 € ont été investis dans la mise aux normes, la modernisation et l'extension de la stabulation. Cette dernière dispose aujourd'hui de 82 places de logettes pour 85 places de cornadis. Un racleur hydraulique s'est substitué au raclage tracteur. En trois ans, une fosse à lisier et une fumière ont été réalisées. La maçonnerie a été effectuée par les éleveurs, avec Christian, de bois ont été remplacés par trois silos neuf. Les travaux ont bénéficié de 18 850 € au titre du PMPOA et de 24 500 € dans le cadre du PMPE.
La mise en route du roto de dix-huit places (130 000 €) va considérablement réduire l'astreinte liée à la traite : six heures par jour avec l'ancien monoquai de six postes pour 60 vaches (nettoyage compris). Très attendu, le roto répond aux exigences des éleveurs : traire à une seule personne 80 vaches en une heure.
« MON INSTALLATION AURAIT ÉTÉ DIFFICILE SANS LA VENTE DIRECTE »
En attendant de récupérer de nouveaux droits à produire et de s'installer à son tour, Vincent a été embauché par l'EARL comme salarié à mi-temps. « Sur l'exploitation, il a déjà son poste », précise sa mère. Titulaire d'un bac professionnel « production animale » préparé en apprentissage, Vincent s'occupe, entre autres, des soins aux génisses et de la distribution de l'alimentation aux vaches avec la mélangeuse. Il participe aussi aux travaux des champs.
Dans la conjoncture laitière incertaine, la transformation et la vente directe constituent un solide atout. « Sans la vente directe, mon installation aurait été difficile, estime Julien. Avec la maîtrise d'une partie de nos débouchés et de nos prix, nous sommes plus sereins. D'une année sur l'autre, le chiffre d'affaires de l'exploitation est stable. Pour mon étude prévisionnelle d'installation élaborée fin 2008, alors que l'embellie des prix du lait était terminée, des bases prudentes avaient été retenues : 280 €/1 000 l pour le lait, 100 €/t pour les céréales, et un niveau de prélèvement mensuel de 1 000 €. » Cet argent doit servir en partie à rembourser le prêt JA de 55 000 € avec lequel une mélangeuse distributrice et un pulvérisateur aux normes ont été achetés.
Malgré l'incertitude sur le prix du lait livré en laiterie, Julien n'a pas imaginé un seul instant reporter son installation. « Le roto était commandé. Tout était prêt pour faire du lait. Avec mon frère Vincent, nous serons deux, à terme, sur une structure d'exploitation correcte. Pourquoi s'arrêter en si bon chemin ? Je veux rester positif. »
ANNE BRÉHIER
Construite en 1983 pour trente vaches, la stabulation paillée avait été transformée en logettes en 1990. Agrandie dans l'axe, elle passe de 45 à 82 places. « Nous sommes partis sur l'idée de 70 vaches en gardant quelques places supplémentaires disponibles », précise Roland Levet.
Le magasin collectif « La gamme paysanne » offre à ses clients un beau rayon de fromages et un large choix de produits. Les permanences sont assurées à tour de rôle par les sept associés
Après la fermeture de l'abattoir de La Côte- Saint-André il y a deux ans, les incertitudes pesant sur celui de Grenoble suscitent des interrogations sur l'avenir de l'atelier de veaux gras. « S'il faut aller à Chambéry ou à Romans, cela ne vaudra plus la peine », estiment les éleveurs.
L'irrigation du maïs, débutée en 2004, a sécurisé le système fourrager de l'exploitation. Les rendements moyens s'élèvent de 18 à 20 t de MS/ha.
Polyvalent, le chargeur sert au transport de pommes de terre ou de noix, à la réalisation des bétons et au paillage des logettes. « On pose les balles sur les barres au garrot et on déroule. »
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